Vous avez sûrement entendu parler d’Astrid Defauw, chanteuse lyrique arrivée sur La Haye il y a un peu plus d’un an. Grande, aérienne, éthérée même, sa courtoisie et sa douceur sont une évidence. Mais attention, face à un orchestre composé de dizaines d’instruments, elle fera passer sa voix de mezzo-soprano au-dessus de cette puissance musicale. Une belle rencontre, sans fausse note...
Accueil La Haye : Astrid, d’où vient ta passion et raconte-nous comment on devient chanteuse d’opéra ?
Astrid Defauw : J’ai toujours adoré chanter. A 3 ans, ma maman m’a tout naturellement inscrite dans une chorale. Au même âge, j’étais déjà hypnotisée lorsque je regardais des opéras. Le spectacle m’attirait beaucoup, je faisais du théâtre aussi.
A l’école, j’ai intégré les horaires aménagés musique-études avec un cursus harpe et chorale jusqu’au lycée, au conservatoire de Nice. Au départ, je n’arrivais pas à imaginer vraiment une carrière dans la musique, alors je m’étais inscrite en Droit, mais j’ai très rapidement bifurqué vers la musique que j’ai étudiée à l’étranger, en Belgique, Italie et en Allemagne. Mes parents m’ont aussi toujours soutenue dans ce choix.
Dans Cosi fan tutte, elle incarne Dorabella. ©AD
ALH : Quel est ton type de voix ?
AD : Je suis mezzo-soprano dramatique*, ce qui signifie que je peux chanter un répertoire romantique avec de grands orchestres qui jouent par exemple du Verdi ou du Wagner. Mais je peux aussi chanter de la musique baroque, tout dépend des rôles. Les mezzo-sopranos sont des voix au timbre plus chaud et plus grave que les sopranos.
ALH : Ta voix lyrique, c’est un don au départ ?
AD : Ta physiologie détermine ta voix, par exemple, la taille des cordes vocales, du larynx ou des cartilages. Par contre, le chanteur choisit de quelle manière il veut faire travailler sa voix, s’il veut chanter des chansons à texte, du jazz ou de l’opéra. On peut avoir des attributs au départ, mais on ne "naît" pas avec une voix lyrique, c’est du travail, une technique.
ALH : Quelle est la différence entre une voix "pop" et une voix lyrique ?
AD : La grande différence, c’est que le lyrique doit passer au-dessus du mur sonore de l’orchestre. Le chanteur n’est pas amplifié, il a un orchestre de 60 musiciens devant lui et doit être entendu. Ça va lui demander d’utiliser la résonance de façon optimisée. Les muscles du diaphragme et du corps vont venir soutenir cette voix. Il sait utiliser ses résonateurs* de façon à raisonner au maximum, sans se fatiguer, sur une tessiture extrêmement exigeante, du grave à l’aigu.
ALH : Le chant est très technique et tu dis pourtant qu’on peut tous chanter...
AD : Oui, tout à fait. On a tous le même corps, des cordes vocales, un larynx, un diaphragme, des cordes vocales, des poumons. Ce qui va faire que la voix se développe, c’est la technique, le travail, l’usage qu’on en fait, l’apprentissage qu’on reçoit et la direction dans laquelle on veut aller. En ce qui concerne la justesse du chant par exemple, selon un rapport d’ORL américain récent, il y aurait moins d’1 % de la population mondiale qui ne pourrait pas chanter juste. Ce sont des cas extrêmement rares, associés à une pathologie. Pour tous les autres, la justesse, c’est l’entrainement de l’oreille.
Dans l’opéra russe : Le Conte du Tsar Saltan ©AD
ALH : Comment savoir quelle tessiture on possède ?
AD : Il y a énormément de types de voix. Il y a des gens pour qui c’est évident, ne serait-ce qu’en parlant, comme par exemple un grand gars avec une voix très grave qui sera probablement basse. Chez les hommes, il y a les basse, baryton, ténor. Pour les femmes, les alto, mezzo et soprano (du grave à l’aigu). Pour chaque tessiture, il y a aussi plusieurs déclinaisons en fonction du timbre, de l’agilité, de la puissance... Aussi compliqué qu’il paraisse, ce classement n’est pas dénué d’intérêt puisqu’en fait, il permet de déterminer si une voix est adaptée à tel ou tel répertoire. En fonction de ta voix, tu ne peux pas interpréter tous les rôles...
ALH : C’est quoi le bonheur de chanter ?
AD : Moi je trouve incroyable le potentiel du corps humain et la faculté de produire des sons extraordinaires juste en sachant comment les placer, comment respirer. Par la technique, acquise à travers les siècles, on peut sortir quelque chose de soi-même qu’on ignorait pouvoir faire. Et puis on provoque des émotions. Un chanteur c’est comme un sculpteur de matière sonore.
ALH : Peux-tu décrire ce que l’on ressent lorsqu’on chante de l’opéra ?
AD : C’est tout d’abord le bonheur de la musique et le partage avec les autres musiciens. C’est aussi du stress bien sûr, mais on apprend à le gérer. Il faut y aller avec son honnêteté, son savoir-faire technique, son cœur. Dans l’interprétation, on met son âme pour véhiculer des émotions. On est donc obligé d’être sincère. Sincère avec le public, mais aussi avec soi-même, connectée avec sa respiration, avec quelque chose de profond en soi. On est ancré et dans le partage.
ALH : Peux-tu définir cet ancrage ?
AD : Oui, l’ancrage physique tout d’abord, c’est la conscience de ton corps dans l’espace, un peu comme si tu avais des racines, tu es connectée avec le sol, avec l’air autour de toi... La dimension davantage psychologique de l’ancrage, c’est que tu sens d’où vient ta force et tu puises dedans. Il y a également l’ancrage temporel, tu es ici et maintenant.
ALH : Sur un volet plus prosaïque et en tant que maman de deux jeunes enfants, comment gères-tu ton quotidien ?
AD : C’est un vrai sujet, comment va-t-on s’organiser, qui va garder qui ? Mes enfants ont 1 an et 3 ans, je voyage pour mon travail et Yann, mon mari qui travaille à plein temps, voyage aussi. Le manque de sommeil, l’organisation, c’est un défi et beaucoup d’aménagements permanents. Je dois d’ailleurs ici remercier Julie et Justine de l’Accueil qui s’occupent du groupe des jeunes mamans. Cela m’a bien aidée à mon arrivée.
ALH : Sur La Haye, qu’as-tu découvert que tu aimerais nous recommander ?
AD : Sans hésiter, Amare ! C’est extraordinaire. Il s’agit d’un grand centre culturel très polyvalent qui regroupe à la fois de la danse, de la musique, des concerts avec des professionnels, des cours pour les amateurs... mais aussi danse-étude et musique-étude pour les enfants. Ils ont aussi NDT (Nederlands Dans Theater), une des compagnies mondiales les plus importantes en néo-classique. Il faut y aller, leur programmation est exceptionnelle.
9e Symphonie de Beethoven
ALH : Comment est ton planning prochainement ?
AD : Je pars bientôt à Munich pour le Requiem de Verdi, une œuvre magnifique. Par ailleurs, et c’est nouveau, j’élargis mon univers en m’occupant aussi de missions de "relocation" pour l’agence Reloconsult, ce qui nous concerne tous en tant qu’expatriés et qui m’apporte autre chose que la musique. Je donne aussi des cours de chant sur La Haye, j’en prends moi-même, et j’apprends le néerlandais...
ALH : Mais avec tout ça, aura-t-on la chance de te voir chanter sur La Haye ?
AD : Oui ! Je donne mon premier concert à La Haye le 18 novembre prochain au Studio Sophia avec Carlota Carvalho, une pianiste portugaise. Je me réjouis de vous y voir !
Fabienne Laroque 🎵
- Ndlr : Les mezzo-sopranos dramatiques incarnent les femmes de caractère, à la personnalité tourmentée et complexe. Leur puissance vocale leur permet de lutter face à un orchestre symphonique.
- Ndlr : Les résonateurs sont constitués de toute la partie au-dessus du larynx ; le pharynx, le voile du palais, la cavité buccale, la mâchoire inférieure, la langue, les lèvres, les fosses nasales et les sinus.
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* Mélodie & champagne
Debussy, Berlioz, Ravel… et Astrid.
Samedi 18 novembre, Studio Sophia.
Pour leur soirée d’ouverture, les salons musicaux vous invitent à découvrir le répertoire romantique construit autour de la mélodie française du début du XXe siècle. Champagne avec les artistes (Astrid Defauw, mezzo-soprano
Carlota Carvalho, piano) à l’issue de la représentation. Toutes les infos ici.
© Photos : Astrid Defauw.